ORDONNANCE MODERNISANT LE DROIT DES MARQUES FRANÇAIS

Ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits et de services
Ordonnance prise sur le fondement de la loi Pacte du 22 mai 2019, permettant la transposition en droit français d’une directive européenne du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.

L’objectif principal de cette ordonnance et de son décret d’application est l’amélioration de l’efficacité des dispositifs de protection des marques, par plusieurs nouveautés dont :
– l’élargissement de la possibilité de faire opposition à un dépôt de marque : il n’appartient désormais plus seulement au titulaire d’une marque antérieure, mais également au titulaire d’un nom de domaine, à toute personne morale sur le fondement de sa dénomination, ainsi qu’à toute personne sur le fondement du nom commercial sous lequel elle exerce son activité ou l’enseigne désignant le lieu où s’exerce cette activité ;
– la déjudiciarisation d’une partie du contentieux actuel des marques, avec la création d’une procédure administrative de traitement de certaines demandes de nullité ou de déchéance de marques relevant désormais de la compétence, en première instance, du directeur de l’INPI et non plus du tribunal judiciaire (Code de la propriété intellectuelle, articles R. 411-19 et suivants) ;

– la modification des modalités de renouvellement : le titulaire de la marque est informé par l’INPI de l’expiration de l’enregistrement, au plus tard six mois avant cette expiration ; la déclaration doit être présenté au cours d’un délai de un an précédant immédiatement le jour de l’expiration de l’enregistrement (Code de la propriété intellectuelle, articles R. 172-13 et suivants) ;

ACTUALITÉ LEGISLATIVE

– l’élargissement des personnes autorisées à agir en contrefaçon, les dispositions relatives à cette action figurant désormais aux articles L. 716-4 et suivants du Code de la propriété intellectuelle : l’action peut désormais être intentée, sans l’autorisation du titulaire de la marque, par des licenciés non exclusifs et des personnes habilitées à faire usage d’une marque collective ou de garantie ;
– l’assouplissement de l’exigence de représentation graphique des marques, permettant ainsi à des marques sonores, multimédia ou dites de mouvement d’être enregistrées à titre de marque dès lors que leur représentation est « claire, précise, facilement accessible, intelligible, durable et objective ».
Cette ordonnance est entrée en vigueur le 15 décembre 2019, mis à part pour les dispositions relatives à la procédure de nullité ainsi qu’en déchéance qui entreront en vigueur le 1er avril 2020.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039373287&categorieLien=id

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ET ABUS DE POSITION DOMINANTE

Jugement : Tribunal de commerce de Paris, 16 janvier 2020, n°2020001069 (https://www.doctrine.fr/d/TCOM/Paris/2020/U953B021D5E565BE4A56A)
Apport principal du jugement : l’article L. 420-2 du Code de commerce prohibe l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante sur un marché, et précise les comportements qui peuvent caractériser un tel abus : le refus de vente, les ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires, ou encore la rupture de relations commerciales établies. Ce jugement d’espèce fournit un exemple de comportement abusif d’une société dominante sur un marché caractérisant une rupture brutale des relations entre les deux parties. Il permet ainsi de mieux saisir l’articulation entre rupture brutale et abus de position dominante.
Le tribunal de commerce de Paris illustre dans son jugement le principe clairement dégagé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2016 (chambre commerciale, n°14-21.670) selon lequel l’article L. 420-2 du Code de commerce ne trouve à s’appliquer

JURISPRUDENCE

que si la rupture brutale de la relation commerciale a eu un objet ou des effets anticoncurrentiels, avérés ou potentiels. Ainsi, une rupture brutale ne peut être, à elle seule, considérée comme abusive mais peut, en cas d’atteinte au marché, constituer un abus de position dominante.
Cela est bien le cas en l’espèce. Les relations commerciales étaient établies depuis plusieurs dizaines d’années entre Coca-Cola et Intermarché, la société de boissons fournissant le distributeur. Une rupture des relations annoncée par Coca-Cola, avec un préavis fixé à seulement neuf jours, entraînant pour Intermarché une rupture de stock et un risque de perte de clientèle (compte-tenu de la part de marché largement majoritaire détenue par le distributeur sur le marché des colas, fixée entre 75% et 90%), relève d’une rupture abusive des relations commerciales que seule une société avec une position dominante sur le marché pourrait pratiquer.
Reste à voir si la cour d’appel de Paris éventuellement saisie confirme ce jugement.

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ET GROUPE DE SOCIETES

Arrêt : Cour de cassation, chambre commerciale, 16 octobre 2019 (n°18-10806) (https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039285463&fastReqId=463539339&fastPos=1)
Apport principal de l’arrêt : La relation commerciale établie, au sens du nouvel article L. 442-1, II du Code de commerce, ne s’apprécie pas en prenant en compte les relations du fournisseur avec l’ensemble des sociétés appartenant à un même groupe. Le principe d’autonomie des personnes juridiques au sein d’un groupe de société est rappelé par la Cour de cassation qui confirme que « la notion de relations commerciales ne peut s’entendre que de relations effectivement et réellement entretenues entre des personnes morales ou physiques et que ceci exclut que ces relations puissent être appréciées de manière globale au niveau d’un groupe de personnes juridiquement distinctes les unes des autres, et indépendantes ». En outre, la Cour rappelle qu’un groupe de sociétés qui n’a pas la personnalité morale ne peut constituer un partenaire commercial au sens de l’article précité du Code de commerce.
En l’espèce, une société ayant pour activité la sélection, l’import et la vente de tapis avait conclu des contrats avec plusieurs entreprises du groupe Galeries Lafayette pour l’exploitation de stands de vente dans différents magasins appartenant à des sociétés du groupe. Ces contrats ont été résiliés entre 2010 et 2011, et la société de tapis a contesté la durée des préavis accordés : elle a assigné une des sociétés du groupe Galeries Lafayette en cause pour rupture brutale des relations commerciales établies, et a étendu sa demande aux autres ruptures de contrats pratiquées par les autres sociétés du groupe.

Alors que la société de tapis soutenait qu’une relation unique existait entre elle et le groupe de sociétés, et que de ce fait le délai de préavis devait être fixé en fonction de la durée de l’ensemble des relations et des différents contrats conclus, la Cour estime d’une part qu’un contrat de référencement conclu entre une filiale du groupe, agissant au nom et pour le compte des autres, et le vendeur ne constituait pas une seule et unique convention régissant l’ensemble des relations entre le vendeur et le groupe. D’autre part, elle considère qu’une centrale d’achats commune, des interlocuteurs rattachés à une même direction et le fait que trois des quatre lettres concernant la résiliation des contrats soient intervenues le même jour ne permettent pas de qualifier une « politique concertée » des sociétés du groupe.

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ET FAUTE GRAVE

Arrêt : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 4, 2 octobre 2019, n° 17/04523 (https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2019/C19EB5AA6C10A5C0920FC)
Apport principal de l’arrêt : la Cour de cassation estime que la rupture des relations commerciales établies ne peut être qualifiée de brutale lorsqu’elle est la conséquence d’un comportement fautif du cocontractant consistant en des retards de paiement importants et répétés.
En l’espèce, suite à des factures impayées et des retards de paiement, un fournisseur viticole a rompu ses relations commerciales établies de longue date avec un distributeur négociant. La cour d’appel de Paris a qualifié de légitime le refus par le fournisseur de livrer le distributeur tant que les sommes dues par ce-dernier ne lui étaient pas versées, étant donné le préjudice et le manquement contractuel grave que ce défaut de paiement caractérisait. Ainsi, le non-paiement et retard de paiement de factures constituent des manquements suffisamment graves pour justifier la rupture sans préavis d’une relation commerciale.

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ET MODIFICATION DU CONTRAT

Arrêt : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 5, 3 octobre 2019, n° 17/01356 (https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2019/C85D9AF91F978504617F0)
Apport principal de l’arrêt : la Cour rappelle que la rupture brutale d’une relation commerciale établie peut résulter d’une proposition de modification du contrat à la triple condition que cette proposition (i) soit défavorable à l’autre partie, (ii) porte sur un point substantiel de la relation et (iii) soit une condition de la poursuite de la relation.
En l’espèce, une centrale d’achats a conclu des contrats successifs de prestation de services avec une société X, lui confiant la sélection, pour son compte, de fournisseurs, de produits et le suivi des achats. Quelques années plus tard, la centrale s’est opposée au renouvellement du contrat en raison d’une nouvelle stratégie du groupe auquel elle appartient visant à centraliser les achats au sein de celui-ci. La société X l’a alors assignée en rupture brutale de la relation commerciale établie.
La centrale d’achats a tenté d’imputer la rupture brutale des relations à la société X, en soutenant qu’au moment du renouvellement du contrat celle-ci en a bouleversé l’économie en souhaitant y ajouter des stipulations interdisant la centrale de contracter directement avec les fournisseurs que la société X sélectionnait. La Cour rejette cet argument et retient que la société X s’est bornée à formuler de simples propositions de modification du contrat auxquelles la centrale d’achats n’a pas répondu, et qu’en tout état de cause la société X n’avait jamais fait de la nouvelle stipulation une condition de signature du contrat. Dès lors, c’est bien la centrale qui a rompu brutalement les relations commerciales établies, en cessant les commandes avec absence de préavis.

FRANCHISEUR ET OBLIGATION PRECONTRACTUELLE D’INFORMATION

Arrêt : cour d’appel de Versailles, 24 Octobre 2019, n° 18/02778 (https://www.doctrine.fr/d/CA/Versailles/2019/C83A42BFDDE8F98DDF658)
Apport principal de l’arrêt : Arrêt d’espèce fournissant un exemple d’absence de manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle due au franchisé, telle que définie par l’article L. 330-3 du Code de commerce, malgré la fourniture de comptes prévisionnels qualifiés de « fantaisistes » par ledit franchisé.
En l’espèce, un franchiseur exploitant un réseau de restaurants a remis un document d’information précontractuel et des comptes prévisionnels à un franchisé potentiel. La société du franchisé est placée sous redressement puis liquidation judiciaire seulement sept mois après l’ouverture de l’établissement. Le franchisé assigne alors le franchiseur en nullité du contrat de franchise, au motif qu’il aurait remis un document d’information précontractuel erroné et incomplet ainsi des comptes prévisionnels trompeurs.
Concernant le document d’information précontractuel, la cour d’appel de Versailles rappelle que l’état local du marché présenté par le franchiseur ne correspond pas à une analyse du marché, cette analyse incombant au seul franchisé. L’information sur l’état local du marché présentée par le franchiseur est une simple présentation générale de la situation locale, et l’assistance prévue du franchiseur pour l’étude de marché qui pourrait en découler ne signifie pas que le franchiseur doit la réaliser lui-même.
Concernant le compte prévisionnel, la cour d’appel de Versailles rappelle que le franchiseur n’est pas tenu d’en remettre au franchisé potentiel et que s’il décide de le faire, celui-ci doit contenir une information sincère et loyale : il engage sa responsabilité si tel n’est pas le cas. La cour d’appel adopte dans sa décision une position clairement en faveur du franchiseur : elle retient qu’un franchiseur peut éviter la mise en cause de sa responsabilité dès lors qu’il fait preuve d’assez de réserves dans les documents précontractuels qu’il transmet à son futur franchisé, et ce quand bien même il transmettrait un chiffre d’affaires prévisionnel (par exemple, en apposant les mentions « avant-projet » et « non contractuelle » sur les documents transmis au franchisé, ou encore en précisant que les hypothèses doivent être confirmées par une étude de marché).
Cette décision qui exclut toute responsabilité du franchiseur doit être lue avec précaution, et il convient de demeurer prudent notamment sur la communication de comptes prévisionnels. La communication de données historiques objectives par le franchiseur au franchisé afin qu’il établisse des prévisions, tel que c’était fait en l’espèce, ne constituent pas des projections complètement incertaines construites par le franchiseur. Il est ainsi opportun, comme en l’espèce, d’inciter le franchisé à faire évaluer de telles hypothèses par une étude de marché ou les remettre pour une analyse complète à un professionnel de la comptabilité, afin d’éviter tout engagement de la responsabilité du franchiseur.

DESEQUILIBRE SIGNIFICATIF & ACTION DU MINISTRE DE L’ECONOMIE (PRESCRIPTION)

Jugement : Tribunal de commerce de Rennes du 22 octobre 2019, n°2017F00131
Apport principal du jugement : selon le tribunal de commerce de Rennes, le point de départ de l’action en déséquilibre significatif engagée par le ministre chargé de l’économie sur le fondement de l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce correspond à la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action. Pour rappel, cette action du ministre destinée à obtenir l’annulation d’une clause abusive d’un contrat se prescrit par cinq ans. Néanmoins, pour définir le point de départ de la prescription concernant le ministre en l’espèce, le tribunal de commerce de Rennes estime qu’il correspond à la date de réalisation des premiers actes d’enquête sur les contrats litigieux. Cette position est critiquable en ce qu’elle conduit à rendre imprescriptible l’action engagée par le ministre chargé de l’économie.
Concernant l’action en déséquilibre significatif des franchisés, elle se prescrit par cinq ans et son point de départ est fixé au jour de la conclusion des contrats de franchise. Pour ce qui est des franchisés intervenants volontaires à l’action du ministre, le tribunal de commerce de Rennes rejette l’argument du franchiseur selon lequel la prescription de leur action a alors quand même comme point de départ la signature de leurs contrats respectifs.
Comme pour le ministre, le tribunal fixe le point de départ de leur prescription au moment où ils ont connu ou aurait dû connaître les faits leur permettant d’exercer leur action, soit en l’espèce le jour où ces derniers ont connu les faits attaqués « à l’occasion de leur audition par les services du ministre ». Cette position est là encore dangereuse dans le sens où tant que le ministre n’enquêterait pas, l’action serait imprescriptible.

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