Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que le COVID-19 constituait une urgence de santé publique de portée internationale. Bien que de telles urgences internationales ait déjà été prononcées six fois depuis la création de ce statut en 2005 (par exemple lors de la grippe A H1N1 en 2009 ou le virus Zika en 2016), celle-ci est inédite quant à son ampleur et les conséquences en découlant, entre autres en matière contractuelle.
Alors que la pandémie se répand à travers le monde et engendre la prise de mesures inédites par les gouvernements afin de restreindre cette propagation, quelles sont les conséquences du COVID-19 sur l’exécution des contrats en France ? Notamment, dans quelle mesure cette pandémie pourrait permettre à un débiteur d’obligations contractuelles de s’en dédire ?
Deux mécanismes du droit contractuel français, réformé par l’Ordonnance du 10 février 20161 et la Loi de ratification du 20 avril 20182, peuvent permettre d’aborder cette question : la force majeure et l’imprévision.Avant de développer précisément chacun de ces mécanismes, trois points importants sont à prendre en compte.
D’abord, l’application de ces deux principes implique d’analyser les circonstances et la situation de la pandémie du COVID-19 au moment de la signature du contrat et au moment où l’une des parties souhaiterait mettre en application les dispositions des articles détaillés ci-après.
Ensuite, il est important de regarder les clauses présentes dans chaque contrat : l’application
de la force majeure ou de l’imprévision ne nécessite pas une clause à cet effet dans le contrat,
ANALYSE
mais les parties peuvent par leur volonté restreindre la portée de ces mécanismes dans leurs clauses négociées. Les stipulations des contrats peuvent ainsi préciser les modalités de la force majeure ou de l’imprévision dans la relation contractuelle ou les cas qui relèvent de ces mécanismes – tout comme elles peuvent en exclure l’application.
Enfin, que ce soit pour l’application de la force majeure ou de l’imprévision en raison du COVID-19, il convient de rappeler que c’est l’interprétation des juges du fond qui primera. Les juges disposent d’une entière liberté d’appréciation du caractère de force majeure et de l’imprévision, et les développements ci-dessous restent évidemment à confirmer par les décisions qui seront ultérieurement prises.
Force majeure – article 1218 du Code civil
La force majeure en droit contractuel français, selon les dispositions de l’article 1218 du Code civil, est définie comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » qui de fait « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » En somme, pour qu’un événement revête le caractère de force majeure pour un débiteur, il doit être extérieur à son contrôle, imprévisible et irrésistible. Si ces conditions sont réunies, la responsabilité contractuelle du débiteur pour défaut d’exécution de ses obligations ne pourra être engagée. Le COVID-19 revêt-il le caractère de la force majeure invocable par un cocontractant ?
L’Etat a annoncé qu’en ce qui concerne les marchés publics français, le COVID-19 constituait un cas de force majeure. En ce qui concerne les contrats privés, le pouvoir d’appréciation du caractère de force majeure revient aux juridictions civiles et commerciales.
Les juridictions ont déjà dû par le passé se pencher sur des situations d’épidémies afin de déterminer si elles revêtaient le caractère de force majeure. Toutefois, que ce soit pour le virus de la dengue (CA Nancy, 22 novembre 2010 n°09/00003), l’épidémie de grippe H1N1 en 2009 (CA Besançon, 8 janvier 2014, n°12/0229), le bacille de la peste (CA Paris, 25 septembre 1998, n°1996/08159) ou bien le chikungunya (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n°17/00739), les juges ont jusqu’à présent refusé de considérer que ces crises sanitaires constituaient des situations revêtant le caractère de force majeure.
Ainsi, dans ces situations où les décisions prises par les juges étaient influencées par les circonstances d’espèce, les maladies étaient connues et ne présentaient pas de caractère irrésistible en ce qui concerne leurs effets sur la santé ou bien leur taux de mortalité. De même, les mesures prises par les gouvernements pouvaient être anticipées et avaient un impact relatif.
Néanmoins, il n’est pas certain que le COVID-19 s’inscrive dans la lignée de cette jurisprudence rendue de par l’ampleur de la pandémie actuelle. Cela se traduit par le taux de mortalité de la maladie, la rapidité de la contagiosité et le nombre de malades (dès lors qu’il est très élevé, un taux de mortalité même assez bas abouti à un très grand nombre de malades, et à un risque élevé de saturation des services hospitaliers).
Mais surtout, et c’est sûrement davantage là où naîtra la qualification de force majeure, le gouvernement a pris des mesures inédites qui revêtent un caractère exceptionnel : interdictions de déplacement, confinement, fermeture de tous les commerces et établissements recevant du public (salles de spectacles, restaurants et débits de boissons, bibliothèques, établissements sportifs, etc.) mis à part les commerces d’alimentation générale et certains autres commerces de détails, etc.3
Il s’agit donc de vérifier que le COVID-19 et les mesures gouvernementales prises remplissent bien les conditions énumérées ci-dessus permettant de caractériser la force majeure. A cet égard, il convient de rappeler que le caractère inédit de cette crise ne permet pas d’affirmer les positions qui seront retenues par les juges, et les éléments ci-dessous ne sont que des pistes d’analyse :
(1) Extériorité au débiteur : cela semble aller de soi, puisqu’il est certain que le COVID-19 et les mesures prises sont extérieurs à l’agissement de toutes les parties contractuelles.
(2) Imprévisibilité pour le débiteur : cela ne pose pas, dans la grande majorité des cas, de problèmes d’interprétation : il suffira de s’assurer que la relation contractuelle a bien été formée avant l’arrivée de la pandémie en France et le débit des mesures prises.
Il faut également prêter attention à la date où la force majeure est soulevée, en mettant en parallèle la date depuis laquelle l’exécution du contrat est impossible et les mesures prises par le gouvernement. Pour déterminer la date de l’imprévisibilité du COVID-19 en France, il se pourrait que l’épidémie ne soit plus imprévisible depuis le 29 février 2020, date de la déclaration officielle de l’épidémie de COVID-19 dans le pays.
Une autre analyse pourrait être que l’interdiction d’exploiter des établissements recevant du public depuis le 15 mars 2020 fixe l’imprévisibilité liée à la crise à partir de cette date-là. En tout état de cause, l’apparition du virus en Chine en décembre 2019 ne semble pas être une cause valable pour soulever l’impossibilité d’exécution dès début janvier en France par exemple.
En somme, il demeure aujourd’hui difficile de déterminer à quelle date sera fixée la fin du caractère imprévisible du virus et il est certain qu’il faut avancer avec prudence. Par
Exemple, on peut citer une décision de la cour d’appel de Besançon du 12 novembre 2013 qui avait refusé de qualifier le virus H1N1 de force majeure, considérant que l’épidémie avait été « largement annoncée et prédite, et ce, avant même la mise en place de la réglementation sanitaire ».
(3) Irrésistibilité pour le débiteur : c’est cet élément qui suscitera sûrement le plus de questions dans l’appréciation des juges. Ces-derniers prendront en compte la gravité du virus, son taux de complication ou de mortalité, mais encore la facilité à limiter le risque de contamination, comme ils l’ont fait dans les décisions citées plus haut dans le cade d’autres épidémies. Au cas par cas, les juges apprécieront le caractère de force majeure par rapport à l’objet du contrat et vérifieront en particulier qu’aucune mesure ne pouvait être mise en oeuvre pour contrer les effets du COVID-19 conformément à l’article 1218 du Code civil).
D’après l’article 1218 du Code civil, il faut non seulement que des mesures appropriées ne permettent pas d’enrayer les effets du COVID-19 et des mesures sur l’exécution normale du contrat, mais aussi que le virus empêche l’exécution du contrat par le débiteur. Deux situations se présenteront sans doute aux juges :
(i) En ce qui concerne les entreprises ou les contrats qui sont directement impactés par les mesures prises par le gouvernement, c’est-à-dire essentiellement ceux qui ont dû fermer en raison du puisqu’ayant le statut d’établissements recevant du public conformément au décret cité supra (on pensera notamment aux restaurants ou aux salles de sport par exemple), leur activité est inévitablement affectée par le COVID-19. Dès lors, l’irrésistibilité semble découler de fait, et le débiteur pourra sûrement soulever la force majeure sans difficultés.
(ii) Si le contrat ou un des cocontractants est touché par ricochet par le COVID-19, c’est-à-dire que son activité n’est pas menacée directement par une des mesures gouvernementales prises mais que son chiffre d’affaires baisse tout de même en raison de la survenance de la pandémie, l’interprétation des juges sera plus subjective.
Dans cette situation, les juges devront établir si en l’espèce le COVID-19 a réellement été la source empêchant l’exécution du contrat et si des mesures auraient pu être prises par le débiteur pour contrer les effets du virus sur l’exécution des obligations. C’est ce qui ressort d’une toute première décision rendue dans le contexte du COVID-19.
Bien qu’elle ne soit pas liée à l’exécution d’un contrat, elle caractérise la force majeure et permet ainsi de tirer des éléments d’analyse mis en oeuvre par les juges. Dans la situation présentée à la cour d’appel de Colmar à propos d’une rétention administrative, le juge a ainsi vérifié qu’en l’espèce c’était bien le virus qui justifiait manifestement le caractère irrésistible de ne pouvoir remplir une obligation, et qu’aucune autre mesure ne permettait de contourner la difficulté engendrée (cour d’appel de Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098. Par ailleurs, conformément à la jurisprudence rendue jusqu’alors, il n’y aura sûrement pas de force majeure si le contrat peut toujours être exécuté par le débiteur, malgré l’existence d’une épidémie (CA Paris, 29 juin 2006, n°04/09052).
Enfin, en tout état de cause, il revient au débiteur défaillant d’apporter la preuve que ce sont bien la situation causée par le COVID-19 et les mesures conséquentes prises par le gouvernement qui l’empêchent d’exécuter normalement ses obligations découlant du contrat (CA Paris, 17 mars 2016, n°15/04263) : un lien de causalité doit donc être établi.
Si la force majeure est retenue, les conséquences en découlant sont prévues par l’article 1218 alinéa 2 du Code civil. Ainsi, si l’empêchement d’exécuter est temporaire, « l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. » Si en revanche l’empêchement est définitif, « le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations. » Les contrats précisent souvent les modalités de résiliation particulières entre les parties – si tel n’est pas le cas, ce sont les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 du Code civil qui s’appliqueront. Pour rappel, la jurisprudence considère que la force majeure peut retarder ou empêcher l’exécution du contrat, mais elle ne peut pas permettre de ne pas payer une somme due, à moins que le COVID-19 rende le débiteur insolvable.
Imprévision – article 1195 du Code civil
L’imprévision permet à une partie, en cas de changement de circonstances imprévisibles, de demander à l’autre partie de renégocier les termes du contrat. Ainsi, pour rappel, l’article 1195 du code civil dispose que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la négociation ».
Comme pour la force majeure, l’imprévision telle que visée par l’article 1195 du Code civil est applicable aux contrats soumis au droit français, et il appartient aux parties de vérifier si leurs contrats prévoient des clauses de « hardship » : des clauses qui régissent les événements permettant de renégocier le contrat.
L’imprévision peut notamment se révéler utile si une partie a subi des difficultés à cause du COVID-19 ou des mesures gouvernementales prises, mais a pu mettre en oeuvre des « mesures appropriées » qui lui ont permis de continuer à exécuter ses obligations contractuelles. Si ces mesures se révèlent particulièrement onéreuses pour elle, soulever l’imprévision pour entamer une renégociation du contrat pourrait être une solution adéquate.
L’imprévision semble plus facile à caractériser que la force majeure dans cette situation de pandémie. Ses effets sont néanmoins différents : la renégociation sera la première étape, et les parties doivent tout au long de celle-ci continuer à exécuter leurs relations contractuelles – ce qui dans certains cas pourra tout simplement être impossible en raison des mesures gouvernementales prises.
La partie qui soulève l’imprévision devra en outre caractériser le caractère excessivement onéreux de la poursuite de ses obligations. Si la renégociation échoue ou s’il y a un refus d’une des parties, la suite de l’article 1195 du Code civil prévoit que « les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
En conclusion, et de façon concrète, au vue de l’ampleur inédite et mondiale de la crise liée au COVID-19 il semblerait d’abord judicieux pour tous cocontractants de nouer un dialogue amiable avec les autres parties au contrat afin d’envisager une renégociation de ses termes. Si de telles échanges amiables n’aboutissent pas, il faudra vérifier les clauses de son contrat, et notamment s’il y est défini les types d’évènements constitutifs de cas de force majeure ou d’imprévisibilité.
Puis, il faudra analyser si les conditions de la force majeure au titre du COVID-19 peuvent être réunies pour ledit contrat, tout en tenant compte du fait que le COVID-19 représente une situation sans précédent et que la caractérisation de la force majeure relève d’une appréciation casuistique des juges. Dès lors, il est fortement probable que la force majeure ne soit pas retenue de façon générale absolue, mais seulement si les effets découlant de la pandémie ne pouvaient être « évités par des mesures appropriées ».
ORDONNANCES IMPACTANT LE DROIT DES SOCIÉTÉS ET LES PROCÉDURES JUDICIAIRES CIVILES ET COMMERCIALES SUITE AU COVID-19
Ordonnances du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété (n° 2020-304) et relatives à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (n° 2020-306)
Ces ordonnances ont été prises sur le fondement de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui autorise le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance afin de prendre toutes mesures, entre autres, pour faire face aux conséquences de nature juridictionnelle et judiciaire du COVID-19. La loi d’urgence permet ainsi de préserver les droits de tous et s’adapter aux contraintes du confinement.
Elles instaurent un certain nombre d’aménagements aux procédures non pénales et aux délais juridictionnels. Parmi ceux-ci, les plus importants en matière de droit des affaires sont les suivants :
– L’ensemble des démarches judiciaires, quelles que soient leurs formes (acte, formalité, inscription, publication, etc.) dont l’absence d’accomplissement peut produire des effets juridiques (sanction, prescription, déchéance d’un droit, etc.) et qui n’ont pas pu être réalisées pendant la période d’état d’urgence augmentée d’un mois, pourront l’être à l’issue de cette période dans le délai normalement prévu et au plus tard dans un délai de deux mois suivant la fin de cette période.
– Les astreintes, clauses pénales, résolutoires ou de déchéance qui auraient dû produire leurs effets pendant la période d’état d’urgence sont suspendues : elles prendront effet un mois après la fin de cette période spéciale. Celles qui avaient commencé à courir avant le 12 mars voient leur cours suspendu entre le 12 mars et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
– Prorogation générale des délais des procédures judiciaires échus pendant la période de l’état d’urgence sanitaire.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do
ACTUALITÉ LEGISLATIVE
Ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles relatives à l’établissement, l’arrêté, l’audit, la revue, l’approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé sont tenues de déposer ou publier dans le contexte de l’épidémie de covid-19 (n° 2020-318)
Prise sur le même fondement de la loi d’urgence du 23 mars 2020, cette ordonnance assouplit les règles en matière de droit des sociétés.
Ainsi, l’ensemble des délais relatifs à l’approbation des comptes, à la tenue des assemblées générales et autres approbations sont repoussés. A titre d’exemple, le délai pour approuver les comptes et les documents qui y sont joints le cas échéant, ou pour convoquer l’assemblée chargée de procéder à cette approbation, sont prorogés de trois mois.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do
FRANCHISE ET LIQUIDATION JUDICIAIRE
Jugement : Cour d’appel de Lyon, 3ème Chambre A, 5 mars 2020, n°18/04053
Apport principal du jugement : le liquidateur d’une société franchisée a seul qualité pour agir, au titre des articles L.622-20 et L.641-4 du Code du commerce, au nom de l’intérêt collectif des créanciers de la société franchisée. Cela implique que le dirigeant d’une société franchisée placée en liquidation, même s’il a investi son propre capital dans cette société, ne peut agir contre le franchiseur pour demander le remboursement de son capital investi.
En l’espèce, une société franchisée exploitant un point de vente de restauration boulangère a été placée en liquidation judiciaire. Le dirigeant de la société, qui avait conclu un contrat de franchise trois ans auparavant avec le franchiseur, a sollicité de celui-ci le remboursement de son apport en capital et de son compte courant.
La cour d’appel de Lyon a rappelé la position constante de la Cour de cassation selon laquelle toute autre personne que le liquidateur judiciaire est irrecevable pour défaut de qualité à agir à solliciter une indemnisation. En effet, le préjudice qui résulte de la perte par le dirigeant de la valeur de son capital investi et de ses sommes en compte courant fait partie intégrante du préjudice social subi par la société.
JURISPRUDENCE
FRANCHISE ET ÉTAT LOCAL DU MARCHÉ (1)
Jugement : Cour d’appel de Nîmes, 23 janvier 2020, n°18/00147 et n°18/00148
Apport principal du jugement : s’inscrivant dans la lignée du nouvel article 1112-1 du Code civil, cet arrêt rappelle que si les potentiels franchisés doivent établir une étude de marché avant de s’engager, les franchiseurs doivent mettre les candidats en mesure de le faire.
Le nouvel article 1112-1 du Code civil énonce que si « une partie dispose d’une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre », elle doit « l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». A défaut, le contrat pourra être annulé.
En matière de franchise, un devoir d’information incombe au franchiseur qui résulte de l’article L. 330-3 du Code de commerce. Celui-ci impose au franchiseur de fournir au franchisé potentiel des « informations sincères » sur « l’état et les perspectives de développement du marché concerné » afin que le franchisé puisse s’engager en connaissance de cause.
Plus précisément, l’article R. 330-1 du Code de commerce prescrit une présentation de l’état général et local du marché des produits ou services devant faire l’objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché.
Si le document précontractuel d’information ne comporte pas ce minimum d’information, le contrat de franchise pourrait être annulé pour manquement à l’obligation précontractuelle d’information. La Cour de cassation rappelle néanmoins régulièrement que cet état général du marché ne doit pas être confondu avec l’étude du marché qui elle incombe au franchisé (par exemple, Cass. Com., 11 février 2003, n°01-03.932).
Il appartient au seul franchisé qui envisage de rejoindre un réseau de franchise d’analyser les données relatives à l’offre et à la demande locale pour déterminer l’opportunité ou non de procéder à l’ouverture d’un magasin franchisé.
Dans les arrêts commentés, il est rappelé que le franchiseur doit a minima apporter au potentiel franchisé un certain nombre d’informations qui lui permettront d’effectuer cette étude de marché, comme des informations sur « les produits à vendre et la politique commerciale qui allait être promue et développée par le réseau ».
Ces informations sont essentielles dans la mesure où le potentiel franchisé adhère « en confiance » au réseau du franchiseur et le rémunère pour limiter ses risques commerciaux. Il est donc légitime d’attendre de la part du franchiseur un certain nombre d’informations qui permette au franchisé de ne pas avoir un consentement vicié quant à l’opération de franchise dans laquelle il souhaite s’engager. Toutefois, le franchisé ne pourra attendre du franchiseur une information qu’en tant que franchisé, éventuellement professionnel du milieu, ne pouvait légitimement ignorer (par exemple, tribunal de commerce du Mans, 19 juillet 2018, n°2017/006047).
FRANCHISE ET ÉTAT LOCAL DU MARCHÉ (2)
Jugement : Cour d’appel de Lyon, 3ème Chambre A, 5 mars 2020, n°18/04053
Apport principal du jugement : cet arrêt précédemment cité permet également d’illustrer la limite au devoir d’information du franchiseur développée supra en matière d’état du marché. L’arrêt rappelle en effet qu’il appartient au seul franchisé de s’assurer de la faisabilité économique de son projet.
En l’espèce, la cour d’appel de Lyon relève que ni l’insuffisance alléguée de clientèle effective par rapport à celle annoncée dans l’état général du marché proposé par le franchiseur, ni la faible durée de l’activité du franchisé ne peuvent invalider la pertinence de l’étude prévisionnelle de clientèle ou caractériser une faute contractuelle.
Sachant que les franchisés ont fait réaliser leur propre étude de marché qui s’est révélée plus optimiste que la réalité du terrain, ainsi qu’un prévisionnel financier sans intervention démontrée du franchiseur, ils n’établissent pas le rôle causal d’une transmission d’un état du marché local incomplet ou obsolète sur leur volonté de contracter et de poursuivre l’implantation du point de vente.
Or, c’est bien ce lien de causalité qui doit être démontré pour essayer de caractériser une faute du franchiseur dans son devoir précontractuel d’information. En l’espèce, les franchiseurs ne démontrent pas que l’état local du marché transmis a eu une influence sur leur volonté de contracter.
En outre, le fait que l’état du marché leur ait été transmis tardivement par le franchiseur ne peut non plus engendrer la responsabilité de ce-dernier, puisque ce report n’a pas causé de préjudice démontré par les franchisés et a été accepté contractuellement.
FRANCHISÉ ET CONTRAT DE TRAVAIL
Jugement : Cour d’appel de Limoges, 3 février 2020, n°18/01198
Apport principal du jugement : un contrat de franchise ne peut être requalifié en contrat de travail ni en statut de gérant de succursale du fait de la simple mise en place de procédures de contrôle par le franchiseur. Ces procédures qui s’inscrivent dans le maintien du modèle de franchise défini par la tête de réseau ne portent pas atteinte à l’indépendance du franchisé qui bénéficie de l’image de la franchise.
En l’espèce, un franchisé sollicitait la requalification de son contrat de franchise en contrat de travail (et à titre subsidiaire de bénéficier du statut de gérant de succursales), après d’être vu débouter en première instance.
A l’occasion de l’appel interjeté par le franchisé, la cour d’appel a rappelé qu’il revient au franchisé de rapporter la preuve d’un lien de subordination entre le franchiseur et lui. Ce lien se caractérise selon la cour par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
Le franchisé soulève plusieurs agissements du franchiseur qui selon lui pourraient relever de l’existence d’un lien de subordination. Ainsi, il souligne que le franchiseur (i) conseille un prix maximum, tout en laissant au franchisé la liberté de fixation des prix, (ii) met en place un audit pour faire respecter les normes d’hygiène et de sécurité du réseau, (iii) exige une remontée d’information nécessaire pour maintenir et développer le savoir-faire transféré, (iv) met en place des normes et des standards à respecter (par exemple, une « ambiance musicale typée » dans les restaurants) et (v) fait figurer une clause de résiliation anticipée dans le contrat classique dans tous contrats commerciaux.
La cour d’appel conclue néanmoins que ces pratiques ne permettent pas de caractériser l’existence d’un lien de subordination et donc de l’existence d’un contrat de travail. La cour affirme que ces contraintes sont inhérentes au principe même de la franchise qui implique une reproduction par le franchiseur d’un modèle chez l’ensemble de ses franchisés.
Rappelons tout de même que cette immixtion du franchiseur comporte des limites, qu’il doit garder une fonction de conseil et que le franchisé doit conserver son pouvoir d’arbitrage et de décision. Il en résulte donc un jeu d’équilibre à maintenir entre devoir d’assistance du franchiseur et immixtion de celui-ci.
Enfin, le contrat de franchise ne peut non plus être requalifié en statut de gérant de succursale selon la cour d’appel. Ce statut est fixé par le Code du travail qui le définit comme des personnes dont la profession consiste soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.
Pour rejeter l’application de ce statut, la cour retient entre autres que le fait que des prix, normes et standards soient conseillés par le franchiseur résulte de la mise en place d’un environnement standardisé de manière à permettre l’identification de la franchise et que seul un prix maximum est recommandé « pour respecter l’esprit familial et bon marché de la restauration de la franchise ». De même, elle rappelle qu’il n’est pas démontré que la plateforme en charge de l’approvisionnement est intégrée au groupe du franchiseur ou qu’elle limite son activité d’approvisionnement à celui des restaurants appartenant au groupe.
Le franchisé reste maître des prix qu’il pratique, mais aussi des rémunérations, de l’organisation des tâches et en somme de l’ensemble des pouvoir de direction de la fonction d’exploitant. Ainsi, il n’y a pas d’ingérence du franchiseur qui pourrait caractériser une tête de groupe de succursales.
Cette décision vient confirmer d’autres décisions récentes de cours d’appel qui avaient rappelé les conditions requises pour voir appliquer le statut de gérant de succursales à un franchisé, qui en l’occurrence n’étaient pas réunies dans les cas soumis : la fourniture de marchandises exclusivement ou quasi-exclusivement par l’entreprise contractante ; l’exercice de l’activité dans un local fourni ou agréé par cette entreprise ; des conditions de vente imposées par cette entreprise ; et des prix imposés par cette entreprise (par exemple, cour d’appel de Metz, 5 juin 2019, n° 19/00082).
1 Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et
de la preuve des obligations
2 LOI n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme
du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
3 Mesures prises par Arrêté du 15 mars 2020, complétées par Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, initialement jusqu’au 15 avril 2020 mais prolongées jusqu’au 11 mai 2020 par Décret n° 2020-423 du 14 avril 2020
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