La jurisprudence conserve et renforce sa ligne de conduite
« L’inapplicabilité de la clause d’arbitrage ne peut se déduire du fait que l’une des parties ne soit pas en mesure de faire face au coût de la procédure d’arbitrage, la force obligatoire de cette clause étant indépendante de la santé financière des signataires, la partie impécunieuse ne pouvant en tirer argument pour se soustraire à la compétence arbitrale »
Le Tribunal de commerce de Pau dans son jugement du 26 mai 2020 (1) confirmé par la Cour d’appel de Pau le 5 novembre 2020 2a justement repris les principes posés par les arrêts Pirelli (3), Lola Fleurs de 2013 (4), également réitérés par la Cour d’appel de Paris en 2015 (5).
En l’espèce, un ancien franchisé a engagé, conformément à la clause compromissoire attachée au contrat de franchise, une procédure arbitrale devant la Chambre de commerce internationale (CCI) en vue de l’annulation de son contrat de franchise aux torts du franchiseur.
La CCI a adressé aux Parties un appel de provisions, évaluée en fonction de plusieurs critères et notamment les demandes financières dont elle était saisie. Le Franchiseur s’est abstenu d’avancer sa part de provision.
En effet, en application du Règlement d’arbitrage « Toute partie a toujours la faculté de payer la part de la provision due par toute autre partie si cette dernière ne verse pas la part qui lui incombe. » (6)
Le Règlement CCI prévoit également que « lorsqu’une demande de provisions n’est pas satisfaite, le Secrétaire général peut, après consultation du tribunal arbitral, l’inviter à suspendre ses activités et fixer un délai qui ne saurait être inférieur à quinze jours, à l’expiration duquel les demandes auxquelles correspond cette provision seront considérées comme retirées. (…) un tel retrait ne prive pas la partie concernée du droit de réintroduire ultérieurement la même demande dans une autre procédure » (7).
La demanderesse à l’arbitrage n’ayant pas payé la totalité des provisions, elle a vu ses demandes retirées après délibération du secrétariat de la CCI. Compte tenu de l’arrêt de la procédure d’arbitrage, l’ancien franchisé a réitéré son action devant le Tribunal étatique argumentant que la clause compromissoire était manifestement inapplicable et qu’il avait été victime d’un déni de justice.
Cependant, le Règlement CCI ne prive pas les parties n’ayant pas satisfait les demandes de provision de réintroduire une demande d’arbitrage, la clause compromissoire gardant alors tous ses effets, les parties n’étant pas réputées y avoir renoncé.
La jurisprudence constante confirme ce raisonnement et indique que la force obligatoire de la clause compromissoire est indépendante de la santé financière du signataire. La partie impécunieuse ne peut en tirer argument pour se soustraire à la compétence arbitrale. Janvier 2021
Ainsi, dans l’arrêt Pirelli du 28 mars 2013 cité plus haut, affaire dans laquelle la partie défenderesse n’a pu assumer la provision réclamée par la CCI en raison de sa liquidation judiciaire, la CCI a informé le tribunal arbitral et les parties, conformément à l’article 30 (4) du Règlement CCI alors en vigueur, que les demandes reconventionnelles étaient considérées comme retirées.
La Cour d’appel de Paris par arrêt du 17 novembre 2011, avait annulé la sentence au motif qu’elle violait le droit d’accès à la justice et le principe d’égalité entre les parties (8). Or, la Cour de Cassation a estimé que la clause d’arbitrage n’est pas manifestement inapplicable et qu’une telle inapplicabilité manifeste ne saurait être déduite de l’impossibilité alléguée par le liquidateur judiciaire de la société défenderesse de faire face au coût de la procédure d’arbitrage.
La Cour d’appel de Paris a réitéré ce principe dans la décision Lola Fleurs en affirmant que :
« le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire ne saurait […] se déduire de l’incapacité alléguée de Lola Fleurs à faire face au coût d’une telle procédure en raison de sa situation financière et au déni de justice qui en résulterait alors qu’il appartient en tout état de cause au tribunal arbitral de permettre l’accès au juge »
Les principes posés par ces deux précédents arrêts ont été confirmés par la Cour d’appel de Paris le 7 avril 2015, qui réaffirme que l’inapplicabilité manifeste d’une clause compromissoire ne saurait se déduire de l’impécuniosité alléguée, que la partie la revendiquant soit en demande ou en défense à la procédure d’arbitrage, et qu’il appartient au tribunal arbitral de veiller au libre accès à la justice (9).
Plus récemment, la Cour de Cassation a conforté la position adoptée par les juges du fond, considérant que l’inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage ne peut se déduire du seul fait que l’une des parties ne soit pas en mesure de faire face aux coûts de la procédure d’arbitrage (10).
Enfin, dans une affaire opposant le même franchiseur face à un ancien franchisé, le Tribunal de commerce de Montpellier a confirmé (11) « que lorsqu’une demande de provision n’est pas satisfaite le retrait ne prive pas la partie concernée de réintroduire ultérieurement la même demande dans une autre procédure, comme le stipule le règlement d’arbitrage de la CCI ». Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Montpellier le 27 octobre 2020 (12).
Ainsi, la partie impécunieuse à la procédure d’arbitrage ne pouvant se prévaloir d’un déni de justice, il lui est recommandé de recourir à des tiers financeurs spécialisés.